Un récit de guerre voir à travers les yeux d’un enfant

Ho visto un re, nouveau long-métrage de la réalisatrice italienne Giorgia Farina, prend place en 1936, au cœur de la campagne lombarde, peu après l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste. Le film suit Emilio, un garçon de dix ans, dont l’univers bascule lorsqu’un « roi » venu d’Afrique est confiné dans la volière familiale. Loin d’adhérer à l’idéologie raciste de son père, Emilio perçoit en Abraham, ce noble guerrier abyssin au teint sombre, un héros à l’image de Sandokan, son aventurier préféré.

Contexte historique et toile de fond fasciste

La période explorée par Ho visto un re coïncide avec la guerre d’Éthiopie (1935-1936) et la consolidation du régime de Mussolini. À travers :

  • La figure du Podestà, représentant local du Fascio, incarné par Marcello (Edoardo Pesce), qui considère Abraham comme une « bête » et craint la « contamination » raciale ;
  • Les scènes de propagande maritime et militaire, montrant affiches et uniformes, qui soulignent la militarisation de la société italienne ;
  • Les tensions familiales, reflet des fractures idéologiques : la mère Regina (Sara Serraiocco) et l’oncle Fausto (Lino Musella) dénoncent le fanatisme du père et protègent en secret le prisonnier.
  • Un regard d’enfant pour dissoudre la haine

    Emilio est le point de vue sensible du film. Passionné d’aventures et déjà lecteur de romans exotiques, il perçoit immédiatement :

  • La noblesse d’Abraham, dont l’attitude calme et la dignità contrastent avec les insultes et la cruauté mécanique de son père ;
  • La similitude entre son idole Sandokan et le prisonnier étranger, qui devient pour lui une figure d’inspiration et de résistance ;
  • La possibilité de l’amitié transcendant les barrières raciales, par des gestes simples : partager un livre, échanger des rires, apprendre des mots dans deux langues.
  • La caméra de Giorgia Farina se fait fluide et chaleureuse dans ces instants, alternant plans larges sur les jardins de la villa et gros plans sur les regards complices.

    Réalité et fantasmes : un savant équilibre

    Ho visto un re joue habilement avec l’imaginaire : la musique s’envole, la lumière change de teinte, et Emilio s’évade dans des visions où Abraham chevauche un léopard ou affronte des monstres symboliques. Ce mariage entre :

  • Le réalisme brut des actes fascistes (cris, claquements de bottes, uniformes rigides) ;
  • La fantaisie des rêves d’enfant, peuplés de créatures inspirées des récits de Emilio ;
  • Le grotesque, lorsque l’aviateur déchire l’égo du père, ou que l’aristocratie provinciale se ridiculise dans des ballets militaires abscons.
  • Cette dualité renforce le propos : sous le vernis de la cruauté, l’innocence et l’imagination demeurent des armes redoutables.

    Performances d’acteurs et direction artistique

    Le casting délivre une partition où chaque comédien apporte sa nuance :

  • Edoardo Pesce (Marcello Podestà) campe un fasciste borné, à la colère contenue, offrant une tension dramatique permanente ;
  • Sara Serraiocco (Regina) déploie une tendresse inquiète, naviguant entre soumission et rébellion silencieuse ;
  • Marco Fiore (Emilio) incarne la douceur et la curiosité, avec un jeu d’une grande justesse émotionnelle ;
  • Lino Musella (Fausto) incarne l’oncle allié, figure paternelle alternative, cultivant l’espoir et la raison.
  • Le directeur de la photographie construit un univers visuel en clair-obscur, alternant verts luxuriants et ombres menaçantes, tandis que la bande-son mêle tambours militaires et mélodies orientales pour évoquer l’Éthiopie lointaine.

    Une réflexion contemporaine sur l’intolérance

    Proposé dans les salles le 30 avril, au moment de la célébration de la Libération, Ho visto un re se fait résonateur des enjeux actuels :

  • Le recul des idées extrémistes et racistes, qui trouvent toujours un terreau propice ;
  • La force de la jeunesse et de l’imaginaire pour briser les chaînes de la haine ;
  • Le rôle de la famille et de l’éducation pour forger des esprits critiques et solidaires.
  • Ce film affirme que l’enfance, en puisant dans la fantaisie, peut éradiquer les préjugés et ouvrir la voie au respect des différences.

    Points forts à retenir

    • Une mise en scène audacieuse mêlant drame historique et séquences oniriques.
    • Un propos féministe et humaniste, porté par un regard d’enfant.
    • Des performances remarquables, notamment celle de Marco Fiore et Edoardo Pesce.
    • Une bande originale hybride, où les tambours de guerre côtoient des mélodies d’aventure.
    • Un film opportun en période de commémoration de la liberté et de la tolérance.

    Avec Ho visto un re, Giorgia Farina offre une œuvre engagée où l’imagination devient un acte de résistance, et où la force du regard d’un enfant réconcilie l’Histoire tragique avec la possibilité d’un avenir plus humain.

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