Un destin hors du commun dans le paysage médical italien

Au début du XXᵉ siècle, la présence féminine dans les facultés de médecine en Italie est rarissime : en 1902, seules 26 femmes obtiennent leur diplôme dans tout le pays, alors que les diplômées sont 224 toutes disciplines confondues. Adelasia Cocco, née en 1885 à Sassari, s’inscrit dans cette avant-garde et trace sa propre route sur un terrain essentiellement réservé aux hommes.

Origines et formation scientifique

Fille de Salvatore Cocco Solinas, médecin condotto (généraliste) réputé et intellectuel reconnu à Nuoro, Adelasia grandit dans un milieu où l’étude et la quête de connaissance sont encouragées. En 1913, elle soutient avec brio sa thèse intitulée « Pouvoir autolytique du sérum sanguin dans les réactions immunitaires », marquant ainsi son entrée officielle dans la communauté médicale.

Un mariage et une installation en Barbagia

Durant ses études, elle fait la rencontre de Giovanni Floris, vétérinaire, qu’elle épouse peu après l’obtention de son diplôme. Aux côtés de son époux, elle quitte Sassari pour Nuoro, cœur de la Barbagia, où elle sollicite du préfet une affectation comme médecin condotto. Malgré une certaine réticence fondée sur des préjugés de « bon sens », il n’existe aucun texte interdisant une femme à ce poste : Adelasia s’arrache la conviction du droit et obtient son premier cabinet.

Défis professionnels et quotidien d’une femme médecin

  • Interventions d’urgence : elle se rend au chevet des patients en pleine nuit, franchissant parfois des chemins escarpés.
  • Consultations à domicile : sa présence dans les villages suscite d’abord la curiosité, puis la reconnaissance.
  • Course contre le temps : elle obtient la première « permis automobile » de Sardaigne pour atteindre plus rapidement les foyers isolés.

Sa ténacité contribue à installer une relation de confiance, tant auprès de la population rurale que de personnalités locales, dont la romancière Grazia Deledda et le poète Sebastiano Satta, patients réguliers de sa consultation.

Une vigilance sanitaire précoce et un rôle d’officier

Forte de son expérience sur le terrain, Adelasia s’engage très tôt dans la prévention : éducation à l’hygiène, campagnes de vaccination et distributions de matériel de désinfection. En 1928, elle est nommée ufficiale sanitario de la province de Nuoro, une reconnaissance officielle de son expertise en santé publique.

Le cas Angela Maccioni : un risque politique

En 1923, Adelasia établit un certificat médical pour Angela Maccioni, institutrice antifasciste reconnue, afin d’exempter cette dernière d’une cérémonie officielle. Cette allusion au « caractère pathogène de certaines manifestations » n’échappe pas aux autorités, et le dossier déclenche une surveillance accrue sur la doctoresse. L’institutrice Maccioni sera finalement mutée, voire emprisonnée, tandis qu’Adelasia fait l’objet de soupçons d’activisme politique.

Résistance face aux pressions du régime

En 1934, touchée par des pressions pour quitter ses fonctions de directrice de l’Institut provincial d’hygiène et de prophylaxie après la période de probation, elle engage un long litige administratif : préfet, ministère de l’Intérieur, direction générale de la santé publique sont saisis. Adelasia revendique son droit à exercer sans discrimination, illustrant le combat des femmes pour leur place professionnelle.

Vie personnelle et épreuves familiales

  • Naissance et perte du premier enfant, décédé à trois ans de la scarlatine.
  • Naissance d’autres enfants, un équilibre entre vie familiale et engagement médical.
  • Recherche scientifique encouragée par la douleur, avec des publications et conférences locales.

Son engagement professionnel se mêle à des drames personnels, forgeant une personnalité d’une grande empathie et d’une détermination à toute épreuve.

Un hommage discret mais symbolique

Longtemps ignorée par la mémoire officielle, Adelasia Cocco est aujourd’hui célébrée à Nuoro par une petite rue en escalier, à deux pas de la cathédrale de Santa Maria della Neve. Cette allée symbolise sa vie en « montée silencieuse », gravie pas à pas, malgré les embûches et la défiance d’une époque restrictive pour les femmes.

Héritage et influence contemporaine

Son parcours inspire les nouvelles générations de femmes et de médecins : une précurseure de la médecine de proximité, une militante de la prévention et une résistante silencieuse aux pressions politiques. Le livre d’Eugenia Tognotti, préfacé par Rosy Bindi, lui rend aujourd’hui justice, rappelant combien son exemple incarne la lutte pour l’égalité et la reconnaissance professionnelle au féminin.

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