Un itinéraire hors du commun

Paris, 24 mai 2025 – C’est une étoile majeure de la photographie documentaire qui s’est éteinte à 81 ans. Sebastião Salgado, originaire du Brésil et installé depuis longtemps à Paris, a consacré plus d’un demi-siècle de sa vie à capter les visages de l’humanité, des plus grands bouleversements politiques et sociaux aux initiatives de solidarité et de résilience. À travers plus de 100 pays parcourus, il a photographié la condition humaine dans ses moindres nuances.

Des premières images marquantes aux projets phares

Dans les années 1980, faute de réseaux sociaux et de couverture instantanée, ses photos de la famine au Sahel ont été la révélation d’une tragédie ignorée :

  • Sahel. L’Homme en détresse (1986) : pour Médecins Sans Frontières, Salgado dévoile les visages émaciés et l’urgence d’une aide vitale.
  • Workers (1993) : un tour du monde en 400 pages sur le travail humain, de l’Amérique du Sud aux usines asiatiques.
  • In Cammino (2000) puis Exodus (2016) : deux volets sur les migrations, retraçant la trajectoire de millions de personnes en quête d’un avenir.
  • Genesi (2013) : retour à la nature et à la force des paysages vierges, sublimant la planète tout en alertant sur sa fragilité.

Chaque projet a nécessité des mois, parfois des années de préparation, témoignant de sa foi dans la « photographie à long terme » pour changer les consciences.

Une démarche humaniste et engagée

Salgado ne se limitait pas à déclencher : il voulait transmettre une émotion et susciter une prise de conscience. Sa devise – « La photographie est le langage qui permet de partager ce que vous avez vu » – résonne dans chaque tirage, qu’il s’agisse de travailleurs dans des mines d’or ou de communautés isolées.

Économiste de formation, il alliait rigueur analytique et empathie, perç̧ant toujours les mécanismes économiques derrière les souffrances humaines. Ses reportages sur les terres autochtones d’Amazonie ou sur les réfugiés syriens au Liban sont autant d’appels à l’action et à la responsabilité collective.

Le rôle déterminant de Lélia Wanick Salgado

À ses côtés depuis 1964, son épouse Lélia Wanick a été bien plus qu’une assistante :

  • co-créatrice des expositions et maître d’œuvre de la mise en page des livres ;
  • curatrice des projets, garantissant la cohérence visuelle et conceptuelle ;
  • partenaire de réflexion, partageant les choix éthiques et artistiques.

Leur complicité, unique dans le monde de la photographie, a permis de diffuser ces travaux dans les plus grands musées et institutions internationales, de la Réunification allemande aux écoles rurales d’Indonésie.

Juliano Salgado et le voyage cinématographique

Leur fils, Juliano Ribeiro Salgado, a poursuivi l’héritage en co-réalisant avec Wim Wenders le documentaire Le sel de la terre (2014), nommé aux Oscars en 2015. Ce film intime et puissant dépeint non seulement les images de son père, mais interroge aussi l’homme derrière l’objectif, son humanisme et son engagement écologique.

Une influence globale et intemporelle

Les photographies de Salgado ont nourri les consciences politiques autant que les cours de sociologie ou d’histoire de l’art. Ses images ont accompagné des discours aux Nations unies, inspiré des ONG et influencé plusieurs générations de photojournalistes, de James Nachtwey à Ami Vitale.

Son impact se mesure également à l’ampleur du mouvement Terra, l’institut qu’il a fondé avec Lélia pour restaurer des forêts au Brésil et promouvoir des pratiques agricoles durables. Salgado prouvait que la photographie n’était pas qu’un témoignage passif, mais pouvait devenir vecteur de reconstruction et de renaissance.

La photographie comme acte politique

Chaque exposition de Sebastião Salgado était l’occasion d’une prise de parole engagée. Qu’il s’agisse des puits de pétrole incendiés au Koweït en 1991 ou des camps de travailleurs migrants en Europe, il dénonçait les déséquilibres et les injustices. Son travail illustre la puissance de l’image pour :

  • éveiller une indignation salutaire ;
  • fournir des preuves visuelles irréfutables ;
  • rassembler des publics variés autour de valeurs universelles.

Un dernier message d’espoir

Dans son livre « Genesi », ses paysages grandioses confinaient au sublime, rappelant la beauté préservée de notre planète. Salgado croyait fermement que « semer l’espoir où il n’y a que désolation » était l’ultime devoir du photographe. Ses archives, véritables encyclopédies visuelles, resteront une référence pour toutes celles et ceux qui cherchent à conjuguer art et engagement durable.

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